Creación de una línea de producción industrial en torno al polietileno

Depuis 2017, Ouishare et GRDF s’associent pour proposer un nouveau modèle de coopération, dans l’optique de créer de la valeur partagée sur les territoires. L’hypothèse : des coalitions entre acteurs qui ne se connaissent pas ou peu peuvent permettre d’enclencher des projets concrets à l'échelle locale. Pour une grande entreprise, cette démarche suppose de changer de posture. Sophie Galharret, directrice RSE chez GRDF et Clothilde Sauvages, connector Ouishare, partagent les enseignements de l’expérimentation en cours.

Pouvez-vous revenir sur la genèse du projet et nous expliquer votre intuition initiale ?

Sophie Galharret: Il y a quelques années, nous avons dressé le constat que sur certains territoires, les collectivités nous perçoivent uniquement comme un acteur technique et non comme un partenaire de leurs politiques énergétiques. C’est parfois difficile de dépasser ce cadre et de pouvoir dialoguer sur les enjeux du mix énergétique local. Nous avons eu l’intuition que nous devions nous impliquer plus largement dans les transitions territoriales en nous associant aux acteurs locaux. Ceci suppose une ouverture au-delà de l’énergie, à d’autres sujets et de nouveaux écosystèmes. Nous n'interagissons pas ou peu avec ces écosystèmes, notamment, les acteurs de l’économie sociale et solidaire, alors qu’il y aurait un intérêt à coopérer.

Clothilde Sauvages : Passer du lobbying à la coopération sur les territoires, voilà l’intention initiale. Ce qui intéresse Ouishare, c’est la façon dont les grands groupes peuvent contribuer concrètement à la transition écologique sur les territoires, en s’appuyant sur leurs atouts - ancrage local, expertise métier - et en faisant évoluer leur posture et leur champ d’action. On passe d’une approche où GRDF défend une transition énergétique à une stratégie de plateforme au service d’une société zéro carbone. Il convient donc de faire évoluer radicalement la stratégie de l’entreprise. Comment peut-elle devenir actrice d’une transition plus globale de la société en lien avec son cœur de métier ? Comment aborde-t-elle la question de l’énergie dans une approche systémique ? L’écoute est un point essentiel pour démarrer un dialogue, et cela suppose bien souvent de changer de posture. D’ailleurs, être à l’écoute des besoins des acteurs locaux permet d’agir plus concrètement et de regagner l’écoute des collectivités.

“Exploration sous les radars” est un des noms de code du projet. Cette image invite à accepter qu’il y a des choses qu’on ne voit pas, qu’il y a un intérêt à avoir des antennes sur le terrain, auprès d’un réseau d’acteurs plus petits, plus militants qui échappent souvent aux radars des grands groupes…

C.S. : Ce projet est une invitation à l’ouverture. Ouishare est à l’écoute des signaux faibles, va à la rencontre d’acteurs très engagés sur les transitions et se mue en facilitateur de rencontres entre le terrain et GRDF. C’est un rôle de tiers de confiance, avec le bon niveau de dialectique pour que des coopérations naissent. Nous allons dans des tiers-lieux et autres fabriques de territoires tels que Bliiida à Metz, nous rencontrons des écoles, à l’image de 3PA à Toulouse, des mouvements citoyens comme Cinergie à Rouen et nous les mettons en lien avec GRDF. Nous travaillons sur les ingrédients qui permettent une réelle coopération suite aux rencontres à l’échelle d’un territoire.

Il semble primordial de passer d’une lutte contre des externalités négatives à des arbitrages stratégiques qui orientent les choix de société plus en amont : dans quelle mesure ce projet s’inscrit-il dans ce cadre-là ?

S.G. : Nous avons depuis 10 ans activé des logiques de coalitions pour dépasser notre statut d’énergéticien et nous ouvrir par exemple vers le monde de l’urbanisme et de l’agriculture, ce qui était une nécessité pour amorcer le développement des gaz renouvelables. Créer des alliances intersectorielles est un enjeu non seulement pour GRDF mais pour l’ensemble des entreprises privées. C’est aussi un enjeu pour les autres acteurs, publics ou associatifs. On a besoin de rendre les frontières plus poreuses entre les différents types d’acteurs pour catalyser les ressources, les compétences et les énergies au service des communs. Pour l’entreprise, cela permet de faire évoluer la perception qui pèse sur elle et progressivement, de faire émerger naturellement de nouvelles opportunités connectées à son activité. Pour construire la confiance avec de nouveaux acteurs et apprendre à travailler ensemble, nous avons besoin de nous retrouver autour de valeurs partagées et de projets concrets. La question de la formalisation d’un partenariat peut émerger à un moment donné mais elle devient secondaire.

Quels sont les principaux jalons de la méthodologie que vous avez déployée ? Quels en sont les éléments clés ?

C.S. : Nous avons aujourd’hui déployé la démarche sur douze territoires pilotes. La méthodologie repose sur une immersion profonde dans un territoire donné, d’abord sur la base de recherches en chambre et d’entretiens téléphoniques, puis lors d’un travail de terrain. Cette étape permet de comprendre les tendances de fond qui façonnent le territoire et les écosystèmes d’acteurs présents. Nous dressons des cartographies des tendances et des acteurs pour chaque territoire. Dans un deuxième temps, à partir de cette analyse, nous allons à la rencontre d’acteurs sélectionnés afin d’échanger sur leurs enjeux et voir quelle serait leur appétence pour une coopération éventuelle avec GRDF. Ouishare essaie de faciliter l’ouverture d’un côté comme de l’autre, notamment en intégrant des acteurs externes aux ateliers qui visent à retravailler la cartographie des acteurs du territoire avec les équipes territoriales de GRDF. Travailler ensemble permet de faire évoluer la vision de son territoire, de s’autoriser à porter des projets communs qui n’étaient pas initialement prévus à l’agenda. Ceci suppose une grande curiosité et une capacité d’ écoute mutuelle. Une fois la rencontre organisée, nous cherchons à innover sur la façon de faire partenariat, à sortir des logiques uniquement monétaires et à dépasser le mécénat de compétence. Faire ensemble est bien plus engageant. Donc nous réfléchissons aux initiatives communes possibles entre GRDF et les acteurs locaux.

S.G. : La question de fond est la suivante : comment faire évoluer le rôle de l’acteur privé dans les transitions territoriales ? A quels besoins du territoire pouvons-nous apporter une contribution ? Partager une vision entre acteurs de différentes natures est un prérequis à l’action commune. C’est tout l’intérêt des rencontres et ateliers de travail collectifs qui parfois nous bousculent mais qui viennent aussi enrichir la compréhension de ce qui se joue sur les territoires et permettre d’identifier les questions qui résonnent entre nous et d’autres acteurs Nous sommes passés de partenariats financiers parfois limités à une simple transaction monétaire à une logique “faire ensemble”. Nous cherchons à réaliser des projets qui sont bons pour GRDF, bons pour notre partenaire local et bons pour les habitants du territoire.

Quelles sont les transformations RH et business induites par ces nouvelles approches de coopération ?

S.G. : Il faut rester modeste par rapport au chemin parcouru. Mais le simple fait de découvrir les cartographies d’acteurs élaborées par Ouishare, de se poser des questions sur les alliances stratégiques au niveau local, de rencontrer des acteurs pas du tout identifiés au départ et d’initier des projets nous fait cheminer. La plupart de nos responsables territoriaux ont pris conscience qu’ils ne connaissaient pas aussi bien leur territoire qu’ils l’imaginaient. On a découvert des réseaux d’acteurs très connectés aux problématiques locales qui étaient effectivement sous nos radars. L’expérience des rencontres avec les acteurs fait aussi bouger les individus. Globalement, cela renforce notre capacité à lire les sujets clés pour l’entreprise dans les années à venir, cela crée des capteurs chez nos collaborateurs territoriaux et nous place dans les bons cercles de discussions au niveau local. Reste à voir comment ce changement de posture peut irradier au-delà de la fonction territoriale, et comment cela va se traduire dans la durée dans les pratiques, les compétences, via l’ajustement des fiches de poste par exemple.

C.S. : On passe d’un territoire support à un espace de contribution. Nombre d’organisations, de lieux ont des partenariats d’affichage qui manquent d’incarnation et tout cela nuit au territoire. L’échange de visibilité voire les flux financiers entre organisations ne veulent pas forcément dire qu’elles sont vraiment liées. Kate Raworth parle d’un passage de “l’indifférence sociale” à la “bienfaisance sociale”. La notion de coopération locale est un levier vers cette transformation. En interne chez GRDF, ce projet a eu la vertu de rapprocher les équipes RSE et territoires. Ce nouveau mode de coopération doit devenir à terme une nouvelle source de valeur pour l’entreprise, passer d’un à-côté au cœur de la stratégie et faire évoluer les métiers et les compétences requises. Ça floute progressivement les frontières entre GRDF et les acteurs locaux, qui partagent en partie des bureaux, des projets et des visions du monde.

Quelles sont les réalisations concrètes suite aux premiers partenariats ?

S.G. : Nous sommes au début de l’histoire. À La Rochelle, tout est parti de la rencontre entre Julien Duranceau, directeur de La Matière, tiers-lieu dédié au réemploi des matières et association spécialisée dans l’économie circulaire, et Renaud Francomme, directeur territorial de GRDF. Lors d’une visite sur site, Julien a repéré des chutes industrielles à base de polyéthylène. Un an après, nous avons décidé de lancer un projet de recyclage du polyéthylène de GRDF grâce aux compétences de La Matière pour en faire de nouveaux objets, avec de nouveaux usages. Plus intéressant encore, nous sommes en train de créer une nouvelle filière d’écologie industrielle à l’échelle territoriale dans une logique d’économie circulaire avec d’autres acteurs qui ont du polyéthylène. Nous cherchons en ce moment le type d’objet le plus utile au territoire que nous pourrions proposer avec cette matière récupérée. Nous avons donc un premier projet concret, multi-acteur, et cela intéresse des acteurs comme l’ADEME. Nous sommes conscients que ce ne sont pas de gros volumes, ni même notre première source de déchets chez GRDF, mais ce sont de vrais enjeux sur le territoire et c’est une façon concrète d’avancer.

C.S. : À Evry, nous avons emmené les équipes de GRDF au CAAPP, un lieu qui cherche à fédérer les écoles d’architecture, de patrimoine et d’arts pour questionner les nouveaux usages. GRDF va faire travailler des étudiants sur les questions de biométhane et de biodéchets, et aider le lieu à se développer. Sur Toulouse, GRDF s’est rapproché du tiers-lieu Les imaginations fertiles pour organiser un événement sur les questions de précarité énergétique. Dans l’un des ateliers, la start-up TOUTSOLAR a été identifiée ce qui a permis de créer une connexion avec un autre partenaire de GRDF, l’association STOP à l’Exclusion énergétique. Cela a également permis de nourrir la relation avec des partenaires historiques comme Cuisine Mode d’emploi(s) et les Banques Alimentaires pour dépasser le cadre habituel des réflexions. Cet événement est un objet concret, un prétexte pour initier des discussions plus approfondies avec des alliés locaux pour la transition. À Nancy, GRDF aide le festival Nancy Jazz Pulsation à améliorer son empreinte écologique, et s’est rapproché du réseau Kèpos pour soutenir des TPE locales.

Au-delà de GRDF et Ouishare, quel est l’intérêt de ce type d’approches pour les territoires ?

C.S. : Dans le cadre de l’étude PACT2, nous posons la question : existe-t-il une culture de la transition ? Nous sommes allés sur trois territoires pionniers : Ungersheim, Grande-Synthe et Mouans-Sartoux. Et à chaque fois, nous faisons le même constat, les grands groupes sont les grands absents des transitions localement alors même que de nouvelles filières se développent. Notre démarche avec GRDF vient pallier ce manque et nourrir la réflexion sur la contribution possible des grands groupes à la transition. Pour chaque territoire pilote, nous regardons comment GRDF peut contribuer aux sujets qui sont importants pour la collectivité territoriale, mettre en relation des acteurs locaux, générer de la confiance.
Quels sont les freins de la démarche, dans vos organisations respectives et vis-à-vis des terrains d’expérimentation ?

S.G. : La question du temps est centrale. En interne, les personnes impliquées dans la démarche voient souvent ces actions comme des sujets en plus dans leur agenda et non comme une nouvelle façon de travailler. Il faut rentrer dans l’expérience concrète, à l’épreuve du réel, pour comprendre que cela a un intérêt. Et même une fois la démarche engagée, il faut réussir à conserver la mobilisation des personnes engagées, rattrapées par leur quotidien. Il y a aussi un enjeu de convaincre les managers de proximité. Nous avions partagé cette démarche au plus haut niveau, mais les strates intermédiaires doivent encore être convaincues. Or, ce sont les leviers de changement. Quand on se lance dans une telle démarche, il faut s’accorder du temps, celui qui permet de se connaître, de créer de la confiance, d’identifier les sujets d’intérêt communs. Les résultats ne sont pas immédiats, ce qui suppose de lâcher prise sur le court-terme.

C.S. : Si la démarche ne repose que sur une personne au niveau local, elle se sent très vite isolée. Chaque personne doit fédérer ses collègues en interne en même temps qu’elle fédère sur le territoire. Une des difficultés repose aussi sur les différences de temporalité entre GRDF et les acteurs locaux. Les délais de réponse et d’organisation peuvent faire fuir de petits acteurs plus agiles. Ouishare veille à ce qu’aucune des parties ne souffre d’un trop grand décalage. Nous faisons accélérer GRDF et ralentir certains acteurs locaux. Parfois, certains ne veulent pas du tout collaborer avec des grands groupes et dans ce cas, nous nous contentons de jouer un rôle de passeur d’informations. Et parfois, la perception évolue au fil des discussions ou au regard des actions de GRDF avec d’autres acteurs sur le territoire. Mais dans tous les cas, nous faisons tout pour éviter d’être utilisés comme une caution, nous sommes rigoureux pour faire émerger les coopérations et sommes libres de le faire ou non.

Quelles sont les prochaines étapes de cette expérimentation ? A quoi souhaitez-vous contribuer à l’avenir ?

C.S. : Nous sommes en train de monter une formation pour autonomiser les personnes dans leur travail de coalitions à l’échelle locale. Nous avons créé une communauté de pairs, directeurs territoriaux, pour qu’ils puissent partager tous les mois les avancées sur chaque territoire. Nous allons enfin rédiger un livre blanc à paraître au printemps pour partager le détail des enseignements de ce projet. Nous réfléchissons aussi à l’évolution des compétences et des postes pour aller vers davantage d’animateurs de territoire.

S.G. : Nous sommes curieux de connaître la façon dont d’autres entreprises s’emparent du sujet. Nous souhaiterions porter ou co-porter un événement sur le sujet de la coopération territoriale prochainement. Nous avons besoin d’être challengés par les pionniers, d’entendre ce que les collectivités ont à dire sur le sujet et d’apprendre entre pairs.

Pour en savoir plus sur ce projet, vous pouvez contacter Clothilde Sauvages ou Sophie Galharret