Démocratie participative, hacking urbain, tiers-lieux, numérique… Les citoyens ont désormais entre leurs mains de nouveaux outils, comme autant de baguettes magiques qui leur permettent de se réapproprier la ville et de la façonner à leur image. Longtemps abandonnés aux collectivités, les territoires urbains, et l’espace public en premier lieu, se réveillent et se transforment, au gré des inspirations, des besoins et des actions de leur population.
Le citadin est mort, vive le citoyen!
Il fut un temps, pas très lointain, où les habitants des villes se contentaient d’être des citadins plutôt passifs, laissant aux pouvoirs compétents le soin de régner sur le monde urbain. Cette époque est révolue. Nous entrons sans nul doute dans l’ère du citoyen actif, disons même pro-actif, et résolu à s’impliquer dans la vie de la cité. C’en est bel et bien fini de la culture politique verticale et de cette fameuse logique top-down d’une France du haut qui agirait pour et à la place d’une France du bas. Le système traditionnel est rejeté de part et d’autre, du fait des scandales politiques certainement, mais surtout de la capacité des citoyens à s’exprimer et se rassembler plus facilement grâce au numérique. La crise a évidemment joué un rôle important dans ce changement de mentalité. Les collectivités n’ont plus forcément les moyens de leurs ambitions. Elles ont donc tout intérêt à ce que la société civile viennent les suppléer sur des missions qu’elles ne peuvent plus financer, qu’il s’agisse d’actions sociales ou environnementales, mais aussi, et c’est nouveau, pour des projets d’urbanisme. A Rotterdam, les habitants d’un quartier particulièrement enclavé ont ainsi financé eux-même en crowdfunding la construction d’une passerelle piétonne qui les connecte directement au centre-ville. Dans la même veine mais de l’autre côté de l’Atlantique, les new-yorkais pourront peut-être un jour se baigner dans une piscine publique flottante installée sur l’East River, juste en face de Manhattan. Lancé en 2012, le projet reste d’actualité et mène toujours une campagne de crowdfunding.
C’est unenouvelle façon de considérer le “vivre-ensemble“ qui est en train d’émerger, plus constructive et plus collaborative.
Cela passe notamment par un mode de gouvernance horizontal. A Barcelone, la démocratie participative s’est naturellement imposée suite à l’élection en 2015 à la tête de la ville d’Ada Colau issue de Barcelona en Comu, une plateforme citoyenne constituée en parti politique. C’est désormais la logique bottom-up qui prévaut: les initiatives et les décisions viennent de la base, la population, pour être remontées à la collectivité. Revenu pour partie entre les mains des citoyens, le pouvoir est décentralisé et partagé. Les responsabilités aussi… Le risque derrière tout cela, c’est que ce pouvoir soit accaparé par une poignée de citoyens, plus impliqués que les autres. Nous assisterions alors à une nouvelle forme de ghettoïsation de la ville, qui exclurait de fait les personnes les moins actives. Il est donc primordial de développer et de maintenir une coopération forte entre les citoyens et les collectivités locales, garantes de l’équité et de l’intégration de l’ensemble de la population. Toujours est-il qu’en s’exprimant et en agissant, les citoyens rendent leur ville plus dynamique, plus vivante et surtout plus humaine. Voilà qui constitue une réponse enthousiasmante à la ville intelligente, rationnelle et pragmatique que l’on a pu nous prédire. En opposition à cette smart city, Carlos Moreno, spécialiste de la ville, parle d’une “Living City
” où chacun participe et où l’on considère que le bien-vivre et le bien-être sont aussi importants que l’efficacité et la productivité. Cette réappropriation de la ville par ses citoyens va bien au-delà de la qualité de vie qu’elle apporte: elle renforce l’attractivité des métropoles. A contrario de la ville globalisée et uniformisée, la ville DIY que créent les citoyens devient unique et exprime son propre caractère, et ce alors même que les grandes métropoles mondiales sont en compétition pour attirer les talents, les investisseurs et les entreprises. Que ce soit par la démocratie participative, le hacking urbain ou toute autre initiative, les citoyens transforment leur ville. Et leur premier terrain de jeux, c’est l’espace public.
L’espace public, lieu d’expression des citoyens: un enjeu urbain
Face à la densification de l’habitat, un nouvel usage de l’espace public s’est développé. Avec en moyenne 12m2 de surface habitable en moins par rapport aux besoins exprimés lors d’un 1er achat immobilier (source: IFOP 2011), les citoyens n’ont d’autre choix que d’organiser leur vie sociale en dehors de leur logement. Puisqu’il n’y a plus la place pour accueillir des invités chez soi, c’est donc dans l’espace public que l’on se retrouve: réunions familiales sous forme de pique-niques au parc, fête des voisins dans la rue… C’est ainsi que le sociologue François de Singly a exprimé la nécessité de créer un espace public du “libres ensemble” qui doit rendre possible la cohabitation de différentes sphères sans qu’elles ne se dérangent entre elles. Un parc, par exemple, ne peut plus être qu’une vaste étendue de gazon. Il lui faut des buissons, des séparations qui découpent l’espace en plusieurs petits univers.
L’enjeu désormais est depermettre aux citoyens de vivre un temps personnel (en famille ou entre amis) parallèlement à un temps partagéavec des inconnus.
Pour cela, et plus que jamais, l’espace public se doit d’être inclusif envers chaque typologie de citoyens. C’est l’un des combats de Womenability qui pose la question du genre dans la ville. Pendant 7 mois, les fondateurs de l’association ont visité 25 villes de par le monde, toutes dirigées par des femmes. Si des problèmes de genre se posent partout, Womenability a tout de même relevé une multitude de bonnes pratiques pour que les femmes puissent, elles aussi, s’approprier pleinement l’espace public. Cela va des rampes pour poussettes à Malmö jusqu’à des constats plus anecdotiques mais tout aussi porteurs de sens, comme le dessin de la silhouette de Kate Sheppard, célèbre suffragette néo-zélandaise, à la place du petit bonhomme (masculin) du feu rouge à Wellington... L’enjeu semble d’autant plus crucial que l’espace public est devenu l’une des principales sources de sérendipité dans la ville. C’est dans les espaces publics que l’on peut rencontrer de manière totalement fortuite d’autres citadins aux modes de vie et aux repères urbains différents des nôtres. Dans notre sphère privée (vie sociale et familiale) ou professionnelle, nous nous retrouvons systématiquement entre membres de la même tribu. Les espaces publics sont ainsi particulièrement stratégiques pour construire une ville inclusive et solidaire. Alors que leur nombre explose depuis plusieurs années, les tiers-lieux se veulent être de véritables prolongations de l’espace public. Accessibles et ouverts à tous, ils naissent d’une volonté de créer des lieux de rencontres et d’échanges entre citoyens. Leur effet sur la ville est non négligeable puisqu’ils permettent de redynamiser la vie d’un quartier et d’y développer un sentiment de communauté. SNCF Immobilier met ainsi temporairement à disposition des artistes certains de ses sites urbains non exploités. En offrant une nouvelles vies à ces lieux oubliés, la SNCF entend “réinventer et faire des espaces urbains, des nouveaux terrains de jeu et d’échanges”. D’un point de vue plus général, les tiers-lieux redistribuent le pouvoir aux citoyens, principalement grâce aux interactions qui s’y créent. A terme, ces nouveaux espaces peuvent ainsi devenir un élément moteur du fonctionnement de la cité. Ce sujet fera l'objet du prochain warm-up du OuiShare Fest qui se tiendra à Lyon, le 25 mai prochain dans le cadre de l'European Lab. Parmi les intervenants, vous pourrez retrouver Benoît Quignon, Directeur Général de SNCF Immobilier et Audrey Noeltner, co-fondatrice de l'association Womenability. Carlos Moreno sera l'un des speakers du prochain OuiShare Fest (Paris, 5-7 juillet)