Clément, Lucie, vous qui avez expérimenté des croissances rapides au sein de vos entreprises respectives, comment décririez-vous la réalité du management dans une start-up ?
Clément : Il y a autant de manières de manager une start up qu’il y a de start-ups, aussi pour moi, il serait plus juste de parler de culture que de management. Lorsqu’un start-up grandit rapidement, nous n’avons pas le temps de penser la structure. En revanche, la culture va teinter la croissance. Passé le cap des 20 personnes, un effort de structuration est néanmoins souvent nécessaire. Une tendance consiste à calquer une structure que l’on a appris dans un précédent travail et mettre en place un organigramme assez classique. Celle-ci a tendance à freiner la dynamique du début où tout le monde rame dans le même bâteau avec une vraie culture entrepreneuriale. D’autres parviennent à trouver un compromis entre le besoin de structuration et la culture d’origine. Pour ce qui concerne Bureaux à Partager, c’est une culture qui me ressemble beaucoup avec ses défauts et ses qualités. Je remarque que la culture d’une entreprise ressemble beaucoup à la personnalité de ses fondateurs.
Je remarque que la culture d’une entreprise ressemble beaucoup à la personnalité de ses fondateurs.
Lucie : Pour moi, le changement se fait sentir à partir du moment où l’on est plus de onze. Jusqu’à ce seuil, tout le monde participe à toutes les tâches. Puis, un début de spécialisation se met en place et c’est à ce moment là que le risque de rompre avec une culture de la prise d’initiatives est fort. Aussi pour moi, manager une start up c’est accepter de ne pas mettre les gens dans des cases tout en acceptant qu’ils développent une expertise sur un sujet.
C’est leur permettre de former leur propre case et d'en changer à n'importe quel moment. En outre, je n’ai pas la prétention de connaître tous les besoins aussi on co-construit les fiches de poste ensemble.
Que faites-vous des profils qui ne correspondent pas à ce mode de fonctionnement très agile ?
Lucie : Il y a effectivement des profils qui sont bien dans leur case. Mon rôle est de faire en sorte que chacun soit au bon endroit pour lui. Il se peut aussi qu'il n'y ait plus de place pour une personne, il s’agit alors de le comprendre ensemble et de conclure sur un départ de manière intelligente. C'est peut-être idyllique mais jusqu’à présent cela s’est toujours terminé sur une entente.
Par ailleurs, on s’attache à vérifier l’adéquation des candidats avec la culture, et donc nos valeurs qui sont “passionate”, “resourceful”, “creative” et “growth-minded”. Lors des entretiens, on propose des cartes avec ces 4 valeurs et on leur demande comment ils se sentent par rapport à elles et de les illustrer par leur expérience.
Bonne entente, culture commune, aventure collective, comment gérer une frontière de plus en plus poreuse entre la vie professionnelle et la vie personnelle ?
Clément : On ne la gère pas, c’est à chacun de la gérer. Notre responsabilité est de créer un environnement de travail qui permette de s’épanouir et c'est aux employés de prendre ce qu'ils ont envie de prendre. Dans une entreprise de 100 personnes, le niveau d’implication est bien sûr hétérogène.
Lucie : J’aimerais dédramatiser la séparation entre vie personnelle et professionnelle. Certains des employés se voient tous les week-ends, et d’autres non. J’estime que cela ne me regarde pas et surtout je ne trouve pas cela malsain, au contraire. Tout comme l’a été l’école, les bureaux sont un espace de socialisation. Le fait qu’un de tes collègues puissent aussi être quelqu’un avec qui tu apprécies de passer du temps en dehors des temps consacrés au travail me semble normal, voire inévitable.
Il s'agit de dédramatiser la séparation entre vie personnelle et professionnelle [...] les bureaux sont un espace de socialisation et il n'y a rien de malsain à ce que certains employés puissent prendre plaisir à se voir en dehors des horaires de travail.
Comment s’organise la prise de décision au sein de vos entreprises ?
Lucie : Au sein de Too Good To Go, chacun doit être entrepreneur de son petit domaine. Je conçois cette entreprise comme pleins de mini projets qui avancent en parallèle avec à chaque fois, un chef de projet.
S’il y a une décision à prendre concernant le service client, c’est la personne en charge qui doit la prendre. Bien sûr, elle peut me consulter mais c’est à elle que revient le dernier mot. Une bonne décision ce sera son succès et une mauvaise décision sera de sa responsabilité. La décentralisation de la prise de décision est très importante.
Clément : Décentraliser la prise de décision n’a pas été facile pour moi. J’estime qu’une des caractéristiques des entrepreneurs est de prendre des décisions vite, tout le temps, d'aimer ça et de le faire plutôt bien. Aussi quand tu as l'habitude de prendre toutes les décisions, et qu’il faut commencer à partager, il est difficile de laisser de la place aux autres. C’est un travail que j’ai eu à faire sur moi : poser des questions, laisser de la place pour le débat alors même que j’ai souvent un avis très affirmé. Ensuite j’accompagne mes collègues en les invitant à évaluer l'impact de leur décision, sur les autres et sur les finances. Et surtout, j’essaye autant que possible de mettre en place une culture qui mettent les gens à l'aise pour prendre de l'information, au détour d’une discussion sur un coin de table ou dans le cadre d’un réunion.
Lors du recrutement, allez-vous choisir des personnes qui vous ressemblent ? ou des profils complémentaires ? Cette démarche est-elle consciente ?
Clément : Pour moi, le recrutement se fait beaucoup au feeling. Généralement en 10mn d’entretien, je suis à même de dire si la personne correspond ou non à la culture de l’organisation. Ensuite, il s’agit surtout de comprendre ce que la personne a vraiment envie de faire. Pour répondre à ta question, je dirais qu’il y a beaucoup d’inconscient dans la démarche de recrutement mais que je recherche consciemment la diversité, plutôt que des mini Clément.
Lucie : Oui, les candidats mentent souvent afin de cocher toutes les cases. La mission du recruteur consiste à déceler les véritables motivations et à vérifier les adéquations entre ce que l’organisation est capable d’offrir et les attentes du candidat. Plus les employés s’épanouissent, mieux on avance ensemble.
Si la culture est plus importante que la case, comment s’assurer que des personnes que vous aviez recruté pour répondre à un besoin précis vont pouvoir s’adapter à l’évolution de l’organisation ?
Lucie : Lors d’un entretien, je vérifie trois éléments : l'adéquation à la culture, la vivacité d’esprit, et ce qu'ils ont envie de faire aujourd'hui. Le troisième correspond à son point d'entrée chez nous mais peut être amené à évoluer.Il s’agit de faire grandir l'entreprise en fonction des personnes que tu as devant toi.
Clément : Le modèle actuel, très spécialisé, est hérité de l'usine. On met tout le monde dans des cases parce que c’est commode. Néanmoins, cela ne fonctionne plus quand il y a une révolution numérique car elle exige de s'adapter tout le temps. Plutôt que de penser une entreprise ultra performante, il est fondamental de créer une entreprise qui sera résiliente au changement. Cela n’exclut pas de recourir à des spécialistes. La croissance te pousse à aller chercher des compétences spécifiques, mais tu vas pouvoir ouvrir la fiche de poste de ces spécialistes en leur proposant par exemple de gérer un budget, de travailler avec différents départements. J’observe que la confrontation de personnes qui n’ont connu que Bureaux à Partager avec des employés venant d’entreprises classiques crée souvent un choc culturel que l’on ne cherche pas à éviter car il enrichit les deux visions.
Plutôt que de penser une entreprise ultra performante, il est fondamental de créer une entreprise qui sera résiliente au changement.