Bonjour Mehdi, pour commencer, peux-tu nous expliquer ce que cache l’acronyme API ? Et nous raconter ce qui t’a amené à oeuvrer à l’automatisation du monde ?
Une API, c’est une interface logicielle qui permet à deux programmes, deux systèmes informatiques ou deux applications d’échanger des données de manière automatisée et programmable. Depuis l’ère du web, on parle d’APIs web. Prenons une tâche récurrente de votre quotidien, par exemple, admettons que vous envoyez un email avec un rapport Excel à votre supérieur tous les vendredis, alors une API pourrait le faire à votre place. Je prends aussi souvent l’exemple du bouton Like de Facebook qui est une partie de Facebook en dehors de Facebook. Donc quand je like un article sur Le Monde, j’interagis avec l’API de Facebook qui est ensuite en mesure de le redistribuer à tous les sites auxquels il est connecté et d’augmenter ainsi les compteurs de likes de manière simultanée.
On utilise des APIs quotidiennement sans le savoir.
L’application Siri par exemple est bourrée d’APIs. Quand on lui demande “Quel est le meilleur restaurant de sushis de Paris?”, notre voix est envoyée sur le web et transformée en texte par une API, puis envoyé via le web à une autre API pour comprendre le texte et en dégager du sens. La demande comprise sera ensuite envoyée via une autre API à un service de notation de restaurants (comme La Fourchette ou Trip Advisor) puis transmise via une API à un service de cartographie et de géolocalisation comme Google Maps… jusqu’à une avant-dernière API qui rassemble toutes les données pour les transformer en texte et finalement les envoyer à une API qui transforme le texte en voix (aussi appelée Text-to-speech). Suite à cette requête, ce sont plusieurs dizaines APIs qui ont communiqué de manière automatisée.
Le monde numérique d’aujourd’hui est déjà très APisé. Quand j’ai découvert ce potentiel, je me suis dit que cela présageait le grand remplacement numérique et la grande automatisation du monde. J’ai souhaité prendre part à cette grande transformation et je me suis lancé il y a 8 ans : j’ai fondé une société dans les APIs, j’écris des rapports et j’organise une série de conférences, les APIDays.
Qu’entends tu par “le grand remplacement numérique”?
Pour comprendre, prenons la métaphore des conteneurs logistiques. Comme l’explique Marc Levison dans son livre The Box : How the Shipping Container Made the World Smaller and the World Economy Bigger, avant la conteneurisation du monde, le coût du transport des marchandises provenant du bout du monde pouvait représenter jusqu’à 40% du prix final de vente de ladite marchandise sur le marché intérieur d’un pays. La délocalisation n’était alors absolument pas compétitive. Imaginez une voiture de 10,000€ qui coûterait 14,000€ parce qu’elle viendrait de Turquie ou bien un smartphone de 600€ qui en coûterait 900€ pour couvrir ses frais de transport depuis la Chine ! On préférerait produire local, avec tous les avantages logistiques et écologiques induits et le label made in France. Sauf que la standardisation des conteneurs logistiques et la commoditisation des infrastructures portuaires, des bateaux, docks, grues, camions, trains ont drastiquement réduit le coût du transport. Selon l’auteur, cette réduction atteint jusqu’à 96% pour certaines marchandises, et ont permis à des sociétés de produire n’importe où dans le monde sans barrière économique liée au déplacement des biens importés ou exportés. Avec l’abolissement de nombreuses barrières politiques, le conteneur a rendu “le monde plat” comme le dit Thomas L.Friedman dans son livre “The World is Flat”. Il en est de même pour le monde numérique.
En standardisant les interfaces entre les systèmes informatiques, les APIs sont en train de réduire drastiquement le coût d’intégration des systèmes entre eux, comme le coût de transport entre les industries par les conteneurs.
Les entreprises vont petit à petit accepter d’importer des données d’autres systèmes, les intégrer via leurs APIs, au lieu de les produire eux-mêmes, et exporter leurs données vers d’autres systèmes car c’est devenu simple et accessible. Cela a commencé il y a 12 ans avec Amazon Web Services. Amazon a donné la possibilité aux entreprises d’utiliser son infrastructure informatique pour héberger leurs sites web et leurs applications. En exportant son infrastructure informatique via des APIs, ce sont près de 10 milliards de dollars qui sont générés par Amazon, et des millions d’entreprises qui ont délocalisé leurs données dans le cloud sur les serveurs Amazon. Le web a rendu le monde numérique plat, le monde entier étant accessible via une adresse email. Il devient encore plus petit et automatisé via les APIs web. De la même manière, des start-ups comme Stripe, Twilio et Algolia en France ont développé respectivement des technologies de paiement, de télécommunication et de moteur de recherche et les ont distribué ou “exportés” via des APIs au reste du monde. Des millions de sociétés les ont par la suite intégré, plutôt que de créer leur propre technologie.
Comme la révolution industrielle a pu le faire à son époque, les APIs encouragent une extrême division du travail, et tend à créer un monde où chaque société se spécialise dans un certain nombre de technologies, les exporte et les met à disposition as-a-service.
C’est le grand remplacement numérique !
Quelle différence fais-tu entre un algorithme et une API ?
Les APIs, c’est l’âge de l’accès comme dirait Jeremy Rifkin dans son livre du même nom.
L’API n’est que l’interface qui donne accès au programme qui est derrière.
Si le programme ou le service est un algorithme, alors l’API est l’interface qui donne accès à l’algorithme. Si c’est un service de données météo par exemple, alors l’API n’est que l’interface qui y donne accès. Aussi, en créant une API ouverte, on ne donne pas directement accès à la technologie ou aux données qui sont derrières et on en garde le contrôle. A la différence de l’open source ou de l’open data, il n’y a pas de risques pour l’entreprise qui ouvre ses APIs de voir ses actifs repris au-delà de son écosystème, par de grands groupes ou par les GAFAs par exemple. L’API permet de lier l’accès aux données à une licence d’utilisation que l’on appelle API Terms of Service. Ce document va définir un contrat d’utilisation de ce qu’il y a derrière l’API et permet à l’émetteur d’en contrôler l’accès.
Par exemple, l’Institut Géographique National a mis en place des APIs pour partager l’accès à ses données : la licence est gratuite pour les associations ou les chercheurs, mais payantes pour les entreprises. En parallèle, depuis juin 2018, Google a rendu l’API de Google Maps entièrement payante après une longue période de gratuité. Est-ce que c’est bien ou est-ce que c’est mal? Je ne sais pas, mais cela prouve que l’émetteur garde le contrôle. (et pour des données cartographiques libres, utilisez OpenStreetMaps)
Les APIs sont la nouvelle forme de contrat de licence logicielle.
On ne donne que l’accès et non pas l’actif, on ne peut contrôler qui a accès à quoi, comment, combien de fois et combien de temps et arrêter le contrat à tout moment s’il le faut. C’est un modèle plus souple que précédemment où je dois ou tout donner ou ne rien donner, être ouvert et libre ou fermé et propriétaire. Avec les APIs, on peut toujours être ouvert et libre, mais on peut aussi être ouvert et propriétaire. Cela peut-être un premier pas pour les institutions qui ne sont pas prêtes à aller dans l’économie du libre.
Qu’entends-tu par la fin de l’emploi et le début du travail ?
Le terme anglais computer, qui l’on traduit en français par ordinateur, veut dire calculateur. Et au départ, les computers étaient des humains ! Notamment des femmes, dont le rôle était de faire des multiplications, des divisions et tout type de calculs mathématiques complexes à la main ! Les ordinateurs, inventés pendant la Seconde Guerre mondiale par Alan Turing, devinrent de plus en performants, on a commencé à leur confier des calculs très complexes, mais leur fonctionnement demeurait très onéreux. Pour des raisons de coûts, on préférait faire faire la majorité des calculs par des humains !
Les 50 années qui suivront, grâce à la loi de Moore qui prédisait que la puissance des microprocesseurs allait doubler chaque année pour le même prix, puis l’avènement du logiciel et des ordinateurs personnels, on a renversé la tendance en remplaçant les humains par des logiciels devenus moins chers.
De nouveau aujourd’hui, comme il y a 70 ans avec les premiers ordinateurs et logiciels, les dernières technologies comme l’intelligence artificielle sont très chères à produire et on va préférer utiliser des humains pour accomplir les tâches qu’il saura faire pour moins cher.
Les APIs sont de fait les interfaces qui permettent de cacher les humains et de les rendre indistinguables du logiciel.
Il y a fort à parier que les APIs remplaceront la grande majorité des emplois, comme les ordinateurs l’ont fait depuis 70 ans.
Quand vous ne voyez qu’une interface ou qu’une API et que vous interagissez avec, comment pouvez vous savoir si derrière vous avez à faire à un logiciel complexe ou à un humain derrière l’interface?
Avez vous entendu parler des Mechanical Turk? Le premier Mechanical Turk était un automate joueur d’échec. Cette “machine” en bois, avec des pièces qui bougeaient automatiquement sur le plateau aurait battu aux échecs Napoléon, Benjamin Franklin et beaucoup d’autres. En réalité, il y avait un renfoncement qui permettait à un “vrai” humain, un champion d’échec de se cacher et de faire bouger les pièces du plateau avec un aimant. Depuis lors, chaque fois qu’une machine semble fonctionner de manière automatique alors qu’il cache un humain, on appelle ça un Mechanical Turk.
Aujourd’hui, il est en vérité très difficile de différencier un humain d’un chatbot. Par exemple, certains projets de chatbots, ces applications conversationnelles sensées reproduire des discussions par tchat entre humains sont souvent moitié machinale et moitié humaines. On parle à un chatbot (robot conversationnel) pour les questions simples, mais quand la discussion avance, alors le chatbot renvoie la discussion à un humain qui prend le relais. En l’état, cela coûterait trop cher de développer une intelligence capable de tenir une conversation complète. En outre, on ne sait pas encore le faire. C’est d’ailleurs l’enjeu d’une compétition annuelle appelée test de Turing où les meilleurs chercheurs du monde créent des chatbots capables de tenir une conversation complète avec un humain sans qu’il se rende compte qu’il parle à une machine. Et bien...on n’y est pas encore ! Mais on s’en approche de jour en jour.
C’est d’ailleurs le business dans lequel s’est lancé Amazon avec leur service Amazon Mechanical Turk, décrit comme une Intelligence artificielle “artificielle”. C’est une plateforme à partir de laquelle les développeurs peuvent demander à être mis en contact avec des humains pour accomplir des tâches qui coûtent trop cher à faire par des machines, en attendant que l’intelligence artificielle se développe et rende les choses abordables. Les tâches peuvent consister à lire des plaques d'immatriculation, trouver des adresses email, reconnaître des animaux sur des images, ou des marques. Et ce pour quelques centimes la tâche ou quelques dollars de l’heure de travail. Là où c’est choquant, c’est que vous interagissez avec la plateforme à travers son API. L’API demande du travail à des humains comme s’ils étaient un logiciel. L’API est le donneur d’ordre de tous ces humains à l’autre bout du monde qui travaillent pour 1 ou 2 dollars de l’heure. Une question : à qui le chauffeur Uber est il subordonné ? A nous, oui, mais à travers plusieurs APIs qui déterminent combien il sera payé, qui lui indiquent sa direction et quel chemin il devra prendre. On est en train de passer d’une organisation scientifique du travail à une organisation logicielle du travail. Le middle management tend à disparaître. Il suffira d’humains au début et à la fin, et d’algorithmes qui distribuent les tâches. Et il est vrai que les APIs contribuent à cela.
On est en train de passer d’une organisation scientifique du travail à une organisation logicielle du travail.
Les APIs vont donc permettre de rendre les humains et les robots indifférenciés sur internet.
Dans moins de 10 ans, il sera impossible de distinguer les humains des APIs d’intelligence artificielle sur le web.
On évolue vers un monde du travail où il y aura des emplois créatifs au-dessus de l’API, et prolétarisés, en dessous de l’API.
C’est assez proche de ce qui s’est passé lors de la première révolution industrielle : l’homme est mis au service de la machine. Néanmoins, comme il est coutume de dire à propos de la technologie, les APIs ne sont ni bonnes, ni mauvaises, ni neutres, elles sont ce que l’on en fait et obéissent à celles et ceux qui les programment, les mettent en place.
Comment les APis vont-elles impacter la manière dont les entreprises interagissent entre elles voire le coeur même de leur activité ?
Les APIs permettent à tout acteur sachant les utiliser d’aller beaucoup plus vite, en se basant sur des systèmes déjà existants. Par exemple, Uber utilise la carte de Google via Google Maps, le processing de paiement via Stripe, envoie les SMS via Twilio...Mas a son tour, Uber ouvre des APIs pour que des hôtels, des restaurants, des sites de voyage intègrent leurs APIs pour pouvoir commander des chauffeurs depuis leur application respective. Grâce aux APIs, on peut même commander un Uber depuis une application de messagerie entre collègues comme Slack!
L’API economy, c’est la version BtoB de l’économie collaborative où chacun utilise les ressources des autres sur ce qu’ils font mieux et c’est aussi s’ouvrir aux autres pour les aider à faire ce qu’ils font de mieux.
Pour les entreprises, les APIs ont un effet en interne et en externe. En interne, elles permettent d’automatiser des actions existantes, et de les rendre plus agiles. En externe, elles leur permettent de donner accès à leurs données : c’est intéressant pour des entreprises qui n’ont pas le temps ou ne savent pas innover. C’est permettre à d’autres de se baser sur des actifs à soi pour créer des choses que l’on n’aurait pu inventer soi-même. C’est par exemple grâce à l’ouverture des données de la RATP (après beaucoup de débats politiques certes) qu’une application comme Citymapper a pu exister.
La vraie révolution API que l’on voit venir concerne surtout les grands groupes, en interne. Elle répond aux problématiques suivantes : comment libérer les énergies qui sont enfermées dans des silos et des applications fermées ? Et comment transformer de vieux systèmes informatiques en systèmes agiles et facilement évolutifs ?
Les grosses entreprises ont énormément de données et d’actifs sous utilisés en interne. Elles fonctionnent avec de vieux systèmes dont ils ne savent pas extraire la valeur. Cela bouge du côté des banques car les réglementations européennes les obligent à ouvrir des APIs à leur écosystème, dans le cadre de la réglementation DSP2. Jusqu’à présent, le modèle d’affaires des banques était basés sur énormément d’informations sur leurs clients qu’elles ne partageaient pas, pour maximiser les chances de les garder les clients en captivité Aujourd’hui, elles sont contraintes par la loi d’ouvrir les données des clients à des tiers, avec le consentement du client bien sûr, ce qui laisse présager plus d’innovations sur le marché bancaire et celui des Fintech.
Quand est-il de l’impact énergétique du stockage des données ? Et de l’empreinte écologique de toutes ces transactions ?
Je pars du principe que tout pollue, sans exception. Il n’existe pas d’énergie propre. Juste des systèmes qui polluent moins que d’autres, mais la croissance économique reste basée sur l'exploitation des ressources naturelles. Et on ne se rend pas compte du coût énergétique des technologies numériques. Par exemple, l’ADEME a calculé qu’une boîte email professionnelle d’une PME de 100 salariés produit autant de CO2 à l’année que 13 vols aller-retour Paris-New York!
On est dans une boulimie de donnée avec le Big Data oudonnées massivesen bon français. On stocke tout, partout, en se disant que ca servira plus tard si on en a besoin.
De la même manière, on veut que cette donnée soit immédiatement accessible, que l’email s’ouvre en quelques centaines de millisecondes. Pour cela, l’email est stocké dans dans différents serveurs à travers le monde et aussi stocké “à chaud” c’est-à-dire sur des serveurs qui consomment beaucoup d’énergie pour le rendre disponible à la demande.
Quels seraient les leviers pour orienter les APIs dans le sens du progrès à la fois social, écologique et démocratique ?
Soyons réalistes, exigeons l’impossible. Alors si les APIs devaient être employées dans le sens du progrès, on pourrait agir sur plusieurs aspects. Parlons tout de suite de ce qui aura le moins d’impact.
D’un point de vue écologique, les APIs permettent de partager des ressources informatiques sans avoir besoin de chacun de les reproduire, et en ce sens elle sont un peu écologiques. Néanmoins, je suis globalement pessimiste sur le sujet de la consommation énergétique du numérique.
D’un point de vue démocratique, les APIs permettent de démocratiser l’open data. L’open data est un mouvement de libération des données, publiques ou privées pour plus de ré-utilisation. Bien que prometteur, ( McKinsey prévoyait 3,000 milliards de retour sur investissement depuis 2013), on ne les a pas (encore) vus.
En effet, des sociétés et des gouvernements se sont lancés dans l’open data, mais uniquement en regardant l’aspect libre de la donnée, c’est-à-dire gratuit, modifiable et réutilisable. Souvent ces institutions ouvraient leurs données via des format comme des fichiers statiques ouverts et même parfois propriétaires (.CSV ou EXCEL)! Le problème est que cette donnée est amenée à bouger, et qu’il faut alors mettre à jour le fichier, et pour les utilisateurs, re-télécharger le fichier à nouveau. On perd tous les avantages du numérique qui sont d’avoir une donnée fraîche, ubiquitaire et instantanée. Avec les APIs, on a cette connexion entre les applications qui fait que si une donnée change dans un système, elle est mise à jour dans l’autre système automatiquement. Et en ce sens elle a plus de valeur par sa capacité à être tout le temps pertinente quand elle passe par une API.
Par ailleurs, beaucoup d’institutions ont arrêté leurs démarche d’open data ou ne les ont pas poussées assez loin car elles avaient peur de perdre le contrôle et de manquer de visibilité quant à la manière dont les données sont utilisées. Oui car une fois que le fichier est téléchargé, on n’y a plus accès. Avec des APIS, on garde contact avec toutes les applications qui utilisent nos données et on sait qui utilise quoi, où, comment, combien de fois. On a ainsi une meilleure vision des résultats de notre écosystème, et on est plus à même de montrer les retour sur investissements aux dirigeants de son organisation pour décider de continuer plus fort et plus haut la démarche d’ouverture des données.
Plus d’open data, c’est plus de transparence et plus de démocratie. Alors exigez des APIs de vos quartiers, de vos villes, de vos régions et de vos gouvernements.
Pour la France par exemple, vous pouvez visiter api.gouv.fr.
Avec des APIS, on garde contact avec toutes les applications qui utilisent nos données et on sait qui utilise quoi, où, comment, combien de fois.
Du point de vue social, les APIs vont avoir aussi un énorme impact à l’ère de l’homo numericus. A terme, on devrait tous avoir le droit de se faire représenter par une API, c’est-à-dire une interface digitale qui renferme de manière programmatique nos données et nos contrats du monde digital. Dans son livre Code, and Other Laws of Cyberspace, Lawrence Lessig explique que Code is Law c’est-à-dire que le code informatique est régi de la même manière que nos lois. Il a été repris par d’autres en disant que Code is law and Law is code et donc que la loi peut être interprétée comme du code informatique, comme une succession de normes, de règles et d’exception qui peuvent se déclencher les unes des autres. En ce sens, on pourra donc écrire du code qui nous représente dans le monde digital et qui fera en sorte d’exercer nos droits et nos contrats légaux. Des contrats informatiques pour des contrats légaux, et inversement.
Certains revendiquent par exemple le droit de se faire représenter par une API au travail. C’est l’idée d’une organisation syndicale algorithmique, en complément de l’existant, qui gérerait numériquement les relations contractuelles qui nous lient les uns aux autres professionnellement. Si je vais plus loin, on pourrait avoir le droit d’avoir une API qui décrirait nos demandes et les droits du travail que l’on reconnaît (ce qu’en France on appelle les conventions collectives). Cela ressemblerait à une page web que les ordinateurs peuvent comprendre automatiquement, via l’API de la page.
Ainsi, des employeurs pourraient me chercher d’une manière algorithmique comme dans un vrai moteur de recherche (et pas via les plateformes de CV en ligne très fermée), mais en respectant les droits qui sont inscrits dans mon API (je veux être payé au moins ce montant, travailler à moins de 30 minutes de cette adresse en transport, je veux 6 semaines de congé par an etc.) On pourraitdécrire toutes ses revendications de groupe organisé, en fonction de la branche et de ses besoins. Et vu que tout le monde serait facilement trouvable selon les droits du travail qu’il reconnait et veut pour lui même, il serait aussi facile de s’organiser entre personnes qui reconnaissent les mêmes droits.
Dessyndicats numériquespour destravailleurs numériques.
Tout cela serait organisé ensuite sous des licences plus globales qu’il serait facile de reconnaître par chacun dans chaque branche, une sorte delicences Creative Commons for Work. Dans un pays où 93% des travailleurs sont sous conventions collectives, mais où seulement 7% sont syndiqués, peut être que les APIs vont pouvoir démocratiser l’organisation des travailleurs entre eux pour leurs droits du travail, via des moyens numériques.
Cela fait un peu science-fiction, mais ça arrive plus vite qu’on le pense. Et tout cela bien sûr, avec pour base de cette hiérarchie des normes la loi, notre socle républicain commun à tous.