Sea Shepherd défend la vie marine. Qu’est-ce qui vous a amenée à vous engager pour cette cause ?
Lamya Essemlali : J’ai toujours aimé les animaux. Au collège, on me surnommait déjà Brigitte Bardot parce que je faisais signer des pétitions dans la cour de récréation. Après un court éloignement de ce sujet en grandissant, j’y suis vite revenue car c’est ce qui me donnait envie de me lever le matin. Je savais que je devais en faire mon métier et c’est pourquoi j’ai fait une remise à niveau scientifique, une licence, puis un master en sciences.
Puis, c’est ma rencontre avec Paul Watson en 2005 qui a été décisive dans mon parcours. Lors d’une conférence j’ai été touchée par ses mots, son discours et son leitmotiv qu’il emprunte à Victor Hugo : "Il vient une heure où protester ne suffit plus, après la philosophie, il faut l’action." Paul Watson n’est pas que dans le constat et la dénonciation. Il montre également qu’il est possible de faire des choses, même si elles semblent a priori impossibles. Cette philosophie a résonné avec mon tempérament et c’est pourquoi je suis allée le voir à la fin de sa présentation. Je me rappellerai toujours de sa réponse : “Si tu es prête à risquer ta vie pour une baleine, alors postule”.
L'année suivante j’embarquais sur un bateau Sea Shepherd en direction de la Floride pour une mission dans les îles Galapagos. Puis une mission pour sauver les baleines en Antarctique. A l’époque, nous manquions d’argent pour payer le carburant nécessaire à notre bateau lors de nos missions. En Antarctique, nous sommes restés deux mois sur les quatre mois initialement prévus, alors même que nous coupions le chauffage pour économiser nos réserves. C’était extrêmement frustrant. C’est pourquoi en rentrant nous avons décidé de lever des fonds et de monter l’antenne France de Sea Shepherd que je préside aujourd’hui.
Entre la communication et l’action, nous choisissons toujours l’action.
A quoi ont ressemblé les débuts de l’association française ?
L. E. : Nous avons commencé petit - avec un carton de tee-shirts - et quelques doutes quant à l’accueil que nous réserveraient les Français étant donnée la radicalité que Sea Shepherd peut incarner. Finalement, le mouvement a progressivement pris de l’ampleur et aujourd’hui nous sommes l’un des plus gros contributeurs de Sea Shepherd monde. Nous finançons nos propres campagnes sans bénéficier de subventions d’Etat.
Ce qui est intéressant c’est que nous semblons “gros”, alors qu’en fait nous ne le sommes pas. Nous sommes une équipe de deux personnes et demie, hors bénévoles, et avec 2 millions d’euros de budget annuel, nous sommes loin des montants de Greenpeace, 18 millions d’euros, ou de la Ligue de Protection des Oiseaux. Mais même si nos actions résonnent pour de nombreux sympathisants, les moyens financiers restent une contrainte. Nos actions seraient plus performantes si nous prenions le temps de communiquer dessus, mais cela signifierait également moins de budget pour nos actions de terrain. Et entre la communication et l’action, nous choisissons toujours l’action.
En quoi une communication plus massive pourrait faire avancer vos combats ?
L. E. : En France, encore trop de sujets sont méconnus du grand public. Par exemple, personne ne sait que sur les 20% de nos aires marines “protégées”, seulement 0,002% le sont réellement. Il y a aussi des absurdités que l’on ignore. Par exemple, le requin renard est une espèce protégée, mais en cas de pêche accidentelle, sa vente est autorisée ! Ce qui est une totale aberration puisque rien n’est fait pour obliger la pêche sélective. Aujourd’hui encore, nos lois sont trop laxistes et par conséquent, aucune espèce marine n’est réellement protégée en France. Sur le papier oui, mais dans les faits c’est un écran de fumée. Il faut que la défense des océans devienne un sujet de société.
En France, aucune espèce marine n’est réellement protégée. Il faut que la défense des océans devienne un sujet de société.
Pour les années à venir, nous souhaitons donc à la fois multiplier nos actions de terrain et sensibiliser plus largement le grand public à l’idée que la défense des océans doit devenir une grande cause nationale. Enfin, nous devons faire de plus en plus de recours juridiques pour pallier les failles du système. Ce n'est pas notre cœur de métier mais pour avoir de l’impact, nous devons diversifier nos méthodes d’action. Par exemple, nous attaquons en ce moment l'État Français pour carence dans la protection des dauphins et des tortues marines. Pour ce combat là aussi, nous devons avoir l’opinion publique de notre côté.
Votre cœur de métier, c’est l’action directe. En quoi cela consiste-t-il ? En quoi est-ce différent de ce que fait Greenpeace, par exemple ?
L. E. : L'action directe est un type d’action qui permet d’avoir un effet immédiat, contrairement aux recours juridiques qui s’inscrivent dans la durée. C’est un type d’action qui se déploie dans l’urgence et qui peut prendre plusieurs formes. Saisir des engins de pêche en situation d’illégalité sur des zones protégées ; couper les filets des navires illégaux pour libérer la faune captive ; exposer sur une place publique des cadavres de dauphins morts au large de nos côtes pour révéler la gravité de la situation, etc.
Contrairement aux actions de Greenpeace, nous ne cherchons pas à nous opposer à des décisions légales. Par exemple, nous n’irons jamais bloquer l’accès à la mer de thoniers qui auraient des autorisations. En revanche, nous n’hésiterons pas à aller couper les filets des braconniers pour libérer les thons pêchés illégalement sur les côtes libyennes.
Paul Watson a pour habitude de dire que plus un écosystème est divers, plus il est fort et résilient. Nous avons besoin d’être nombreux et de multiplier les moyens d’action et les approches. Là où le terrain devient glissant, c’est lorsqu'une organisation devient une fin en soi. Lorsqu’elle devient si grosse qu'elle se nourrit de la cause plutôt qu’elle ne la défend. Ou lorsque les personnes qui luttent perdent de vue leur humilité. En période de recrutement, nous sommes très attentifs à l’état d’esprit des bénévoles. L'ego est une gangrène. Il faut y être d’autant plus attentif dans les secteurs de l’écologie et de l’humanitaire qui sont des "causes nobles" pour lesquelles on peut vite être perçu, et se penser, comme des héro-ïnes.
Vous luttez contre les inégalités en haute mer, alors même que sur ce sujet les chantiers sont titanesques : pêche illégale, surexploitation des fonds marins, esclavages, zone politiquement instable… Comment faites-vous pour ne pas vous décourager face à l’ampleur de la tâche ?
L. E. : Bien que je ne sois pas particulièrement optimiste sur l’avenir, il m’est inconcevable d’envisager d’arrêter car mon engagement ne dépend pas de la performance de nos actions. J’ai la chance de faire quelque chose qui correspond à ce que je suis, cela fait partie de moi et m’épanouit malgré la dureté de la tâche. Si demain mon engagement avec Sea Shepherd devait s’arrêter, je trouverai une autre injustice contre laquelle lutter.
“L'activisme est le loyer que je paye pour habiter cette planète” Alice Walker
C’est un besoin qui s’est renforcé depuis que je suis maman. J’ai du mal à comprendre comment - par déni, égoïsme, frivolité ou que sais-je - certaines personnes ne se préoccupent pas des générations futures. Nous sommes une génération charnière dans l'histoire de notre espèce. C'est effrayant, mais également excitant car il y a encore des choses que nous pouvons sauver. Ces combats sont vitaux et peuvent se faire dans la joie. S’il peut y avoir de la fatigue, parfois, ma motivation et ma détermination ne sont jamais entamées.
Cette année le Ouishare Fest interrogeait justement l’importance d’introduire du temps long dans nos décisions et actions, de ne pas céder au court termisme. Qu’en pensez-vous ?
L. E. : L’un des nœuds du problème provient du fait que nous n’avons aucune mémoire. L’exemple des océans le montre. Nous essayons de sauver ce qu’il en reste, mais en réalité, nous en avons déjà détruit la majeure partie. Aujourd’hui, de nombreuses espèces de baleines sont menacées. Mais il y a quelques siècles, il était courant d’observer des baleines à l’entrée des ports ! Ce qui est terrible, c’est que l’on ne se souvient pas de ce que l’on a déjà détruit. Et l’attitude court-termiste dominante renforce cette perte de mémoire.
Lorsqu’au contraire on s’attache à prendre en compte le temps long, cela nous invite à repenser nos alliances. Par exemple, Sea Shepherd n’a jamais été perçu comme l'allié des pêcheurs. Et pourtant, nous pouvons avoir des points communs : eux comme nous souhaitons maintenir les océans en vie pour les générations à venir. Pour eux, c’est la condition nécessaire pour que leurs enfants et petits enfants puissent continuer à pêcher. De notre côté, évidemment, nous ne défendons pas la pêche mais nous essayons de mettre nos différends de côté pour sauver l’essentiel et peser plus fort dans nos combats. C’est le cas notamment pour le projet d’installation d’éoliennes en baie de Saint-Brieuc. Nous luttons contre ce projet car son impact sur la vie marine serait colossal et désastreux. Les pêcheurs y voient de leur côté une menace pour leur activité. En nous coalisant, nous devenons plus audibles vis-à-vis de l’Etat français. Et les pêcheurs accueillent même positivement notre soutien puisqu’il leur apporte une caution écologique !
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Sea Shepherd est une ONG indépendante qui, grâce à des accords de coopération avec les autorités locales et à l’emploi de stratégies innovantes d’action directe, lutte contre les activités illégales qui se produisent en haute mer. Leurs actions consistent à informer les autorités et le grand public lorsque les lois permettant de protéger les océans ne sont pas respectées.
L’antenne française que Lamya Essemlali préside fêtera ses quinze ans en octobre prochain et organisera à cette occasion une levée de fonds pour multiplier ses actions sur la façade atlantique grâce à l’acquisition d’un nouveau bateau. Plus d’information sur leur site internet : https://seashepherd.fr/
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Un grand merci à Solène pour son aide dans la réalisation de cet entretien