Qu’est-ce qui t’a poussé à écrire ce livre et à préciser l’endroit d’où tu parles, à savoir ni du point de vue d’un sociologue, ni du point de vue d’un journaliste ?
Guillaume Meurice : J'ai écrit ce livre avec l’envie de partager mon expérience d’humoriste et de raconter les anecdotes accumulées depuis que j’anime une chronique sur France Inter, qui m'amène à partager chaque jour entre deux et dix minutes avec une quinzaine d’inconnu-es.
Au début du livre, je précise ce que je ne suis pas, car je remarque qu’on m’associe de plus en plus à des disciplines et expertises qui ne sont pas les miennes. Je précise ainsi que je ne suis pas sociologue car contrairement à eux, je ne fais pas d’analyse et je ne m’immerge jamais dans des milieux sociaux. Les gens que j’interroge sont le fruit du hasard ; je m’intéresse avant tout aux discours et raisonnements qu'ils portent plutôt qu’à leur contexte socio-économique. Comme Socrate avant moi, je fais de la maïeutique : j’amène les gens à m’expliquer sur quoi se fonde leur pensée.
Je ne suis pas non plus journaliste. Certes, je vais sur le terrain pour interroger des gens avec un micro France Inter. Mais je ne fais pas du micro-trottoir pour retranscrire de façon “objective” ce que le peuple de France pense. Dans ma chronique, je donne mon avis de manière humoristique ; je ne cherche jamais à transmettre une forme de réalité. Ce qui m’anime, c’est d’aller chercher la connerie qu'il y a en chacun de nous, c’est-à-dire notre capacité à répéter des choses sans les avoir vérifiées, par confort ou paresse intellectuelle. Comme les dessinateurs de presse qui en quelques coups de crayons arrivent à éclairer une situation, je grossis le trait en utilisant les codes du journalisme et en faisant des blagues.
Ce qui m’anime, c’est d’aller chercher la connerie qu'il y a en chacun de nous, c'est-à-dire notre capacité à répéter des choses sans les avoir vérifiées par confort ou paresse intellectuelle.
N’est-ce pas un symptôme des dysfonctionnements existants dans le journalisme que des personnes t’associent régulièrement à ce métier ?
G. M. : Le micro-trottoir, c'est le niveau zéro du journalisme. Je suis bien placé pour savoir qu’en fonction des réponses que tu gardes, tu peux faire dire ce que tu veux aux français. En creux, évidemment que je critique les médias qui sur-utilisent ce genre de procédé plutôt que d’analyser en profondeur les sujets qu’ils traitent, à l’image de ce que font des médias comme Médiapart, BLAST, Arrêt sur images, etc. Le problème c’est que ce type de journalisme prend du temps et est peu rentable. Pour un BFM qui cherche à maximiser ses chiffres d’audience à la minute, dans un modèle dominant qui l’incite à faire ainsi, il est évident qu'il sera toujours préférable d’organiser un match Mélenchon-Zemmour plutôt que de parler du rapport du GIEC.
On sent de l’empathie pour les personnes interrogées, malgré les horreurs qu’elles disent parfois. Mais n’est-ce pas une sorte de mépris que de ne pas s’autoriser à reconnaître leur bêtise ?
G. M : Nous les humains avons tous une tendance à répéter des choses entendues ailleurs. Je ne pense pas donc que les gens que j’interroge sont cons. Je les vois plutôt comme des victimes de la connerie ambiante. J’en parle d’ailleurs dans mon prochain livre, Petit éloge de la médiocrité, une sorte d'anti-livre de développement personnel dans lequel je défends l’idée que nous sommes tous des êtres médiocres ! Nous sommes des amas de cellules balancées dans un système chaotique, qui essayons de faire de notre mieux. Je n’hésite donc pas à soulever les incohérences de tout le monde, sans exception.
Des gens de gauche m’ont reproché d’avoir été condescendant lors d’une chronique réalisée le tout premier samedi de la manifestation des gilets jaunes. J’étais sur un rond-point entouré de personnes qui n’étaient pas solidaires du mouvement de grève des cheminots, votaient FN et étaient contre l'immigration… On a dit que j’avais fait du mépris de classe. Alors que pas du tout. J’aurais fait du mépris de classe si je m’étais retenu de pointer l’absurdité de leur discours sous couvert que ces personnes étaient des prolétaires.
J’aurais fait du mépris de classe si je m’étais retenu de pointer l’absurdité de leur discours sous couvert que ces personnes étaient des prolétaires.
Est-ce que l’humour est une manière de cacher le sérieux de ton travail ?
G. M : L'humour et le sérieux ne sont pas antinomiques. L’humour c’est la surprise, l’irruption de l’imprévu dans le réel ou encore l’acte de tromper le cerveau qui habituellement passe son temps à anticiper des événements. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas traiter de sujets sérieux. L’humour permet de traiter des sujets sérieux en déconstruisant les discours, en horizontalisant les rapports humains et en démasquant les postures idéologiques. Entre un article contre le climatoscepticisme avec des paragraphes bien carrés et une chronique où j’interviewe des climatosceptiques pour montrer que leur discours ne tient pas debout, peut-être que ma chronique sera plus percutante et pourra toucher plus de monde. Mais sans cet article, je n’aurais pas eu les connaissances nécessaires pour poser les bonnes questions. Donc, tout est complémentaire.
Notre monde n’est qu’un grand théâtre et nous gagnerions tous à porter un regard critique sur notre posture sociale, nos défauts, nos compromissions, etc. Je suis convaincu que l’humour facilite cette quête de lucidité. C'est pour moi l'équivalent d’une scène où un Père Noël arriverait avec sa fausse barbe en disant "oh oh oh je suis le Père Noël" et qu’un humoriste s’empresserait de lui tirer la barbe pour révéler la supercherie. Comme ce tireur de barbe, je m’empresse de révéler le théâtre incroyablement ridicule dans lequel nous sommes et qui incite parfois des députés à jouer la scène d’un défenseur de la veuve et de l'orphelin, ou Emmanuel Macron à faire croire qu’il va sauver le monde libre après un appel avec Poutine en postant des photos de lui en sweat sur instagram pour montrer qu’il n’a pas dormi depuis deux jours…
Avec tes chroniques, tu cherches donc à faire tomber les masques ! Comment perçois-tu l’évolution des « masques » portés par les politiques d’aujourd’hui ?
G. M : J'observe un passage du cynisme à la bêtise. Alors que l'UMP était par le passé composée de personnes qui savaient très bien qu’elles maintenaient un système de domination injuste, sans essayer de le dissimuler, les macronistes n’hésitent pas à dire qu’ils vont sauver la France grâce aux start-up… Les premiers n’ont jamais essayé de nous vendre du progrès social, ils étaient lucides sur le rôle qu’ils jouaient, alors que les macronistes eux sont sincères quand ils clament que la baisse des APL permettra aux gens de trouver un travail, alors qu’il n'y a aucun lien de cause à effet… Ce n’est même pas de la manipulation, c’est de la bêtise. Je préfèrerais toujours avoir en face de moi une personne raciste avec une idéologie construite qu'une personne au pouvoir qui me sort des âneries tout en étant persuadée de faire le bien. A l’image de la fameuse phrase d’Agnès Pannier-Runacher, anciennement ministre de l’industrie, qui déclare qu’elle « aime l’industrie parce que c’est l’un des rares endroits au XXIe siècle ou l’on trouve encore de la magie »…
Quel rôle peuvent jouer les humoristes et l’humour en politique aujourd’hui ?
G. M : Nous les humoristes, que l’on s’intéresse au sens de la vie, aux scènes de ménage ou à la politique, aimons le spectacle et en faisons tous les jours : c’est notre métier. Les politiciens, eux, restent mauvais à ce jeu. Il suffit d’assister à un meeting politique pour s’en rendre compte : malgré les clips, les vidéos, les lumières et la musique, cela reste un théâtre profondément ennuyeux… Mais dans une société qui aime le spectacle, je vois là une faille à exploiter. Pourquoi pensez-vous que Ruffin a de la visibilité ? Car c’est justement l’un des seuls à avoir de l’appétence pour faire le show ! Il sait bien que la question qui se pose tous les matins chez BFM, n’est pas « comment faire de l’idéologie », mais « comment faire de l’audience ». Et donc si faire du spectacle passe par porter un maillot de foot à l’Assemblée nationale, soit ! A défaut de pouvoir passer des lois, il aura réussi à se faire le porte-parole de certains messages.
Dans tes chroniques, tu évoques souvent l’idée que le monde dominant est en train de crever. Comment sortir par le haut de cet effondrement en cours ?
G. M : Je pense que les puissants ne sont pas aussi puissants qu'on se l'imagine et qu’il suffit de regarder les violences policières lors des manifestations pour s’en convaincre. Des policiers qui tirent au flash-ball sur les manifestant·es, c’est selon moi le signe d’un système qui panique et qui a conscience de sa finitude et de sa chute imminente. Je n’ai pas de solution toute prête pour renverser ce système en déroute et en construire un autre… Une piste pourrait consister à travailler sur les mots qu’on utilise, qui sont souvent trop flous. Beaucoup de gens se rendraient alors compte qu’ils sont plus d'accords qu'ils ne le pensent République, Populisme, Socialisme, Démocratie, Peuple. Qui sait définir ces termes ? Bernard Arnault fait-il partie du peuple ? Le RN est-il un parti non républicain ? J’ai le sentiment que nous n’avons pas les bons outils pour penser et que nous manquons de mots pour définir les partis et principalement la gauche. On continue d’opposer le communisme au capitalisme, alors que le communisme est un mot complètement anéanti dans le débat public depuis que Staline est passé par là. De même, on ne peut parler d'Écologie alors que tous les partis en font plus ou moins. Quand on fait de la politique, il est essentiel de savoir se définir. Qui sommes-nous ? Moi je suis humoriste, voire blaguiste. Mais quel est le mot pour définir la gauche ?
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Guillaume Meurice est humoriste sur France Inter. Il y anime l’émission Par Jupiter dans laquelle il tient une chronique, “Le moment Meurice”, depuis 8 ans. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le roi n’avait pas ri (2021) et Les vraies gens (2022). Il est également en tournée dans toute la France pour son spectacle Meurice 2027.
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