Vous avez consacré un ouvrage entier à la participation “Participer. Essai sur les formes démocratiques de la participation”, sur
quelle intuition vous-êtes vous lancée dans l’écriture de ce livre ?
Joëlle Zask : Ce livre vise à revaloriser l’idée même de participation. Nous traversons une époque où une forte injonction à participer, que ce soit par le vote, l’avis ou la contribution financière, émane de tous les organismes.
Néanmoins, cet appel à la participation en politique s’avère dans bien des cas problématique dans la mesure où l’on demande en fait aux individus de légitimer un processus déjà en place. Ce sont des formes tronquées de participation qui sont à l’œuvre : par exemple, les dispositifs de démocratie participative orchestrés par les autorités locales ou par les ministères sont destinés à entériner des décisions qui sont d’une certaine façon prises en amont.
Quelles seraient les conditions d’une véritable participation ? Afin que celle-ci ne se résume pas à une opération de communication, voire une manipulation.
Il faut être très attentif à ce que la participation n’intervienne pas uniquement au moment de la prise de décision, mais également au moment de la définition des enjeux communs, de l’agenda même sur lequel vont ensuite se cristalliser les discussions et éventuellement, en bout de chaîne, les prises de décisions. Au moment de la prise de décision, le problème a déjà été formulé. Il est retiré de la discussion.
Aussi, il est fondamental penser une participation en amont, au niveau de la définition des problèmes communs ou publics, ce qui ne va pas de soi.
Il est fondamental penser une participation au moment de la définition de l’agenda.
Pourriez-vous nous expliquer ce que sont les différents moments de la participation tels que vous les avez définis ?
Je fais une distinction entreprendre part, apporter une part, et recevoir une part.
Prendre part, c’est le degré d’inclusion minimum. Son contraire, c’est laisser pour compte. Il s’agit d’être associé à une démarche, sans que cela implique une quelconque forme d’allégeance à des idées ou de renoncement à son individualité. Les parties prenantes n’adhèrent pas à des valeurs préalables. Prenons l’exemple d’un étudiant universitaire dans une salle de cours : même s’il ne dit rien pendant deux heures, il prend part au cours, car il n’est pas contraint d’être là. Néanmoins, il n’a rien d’un disciple, il ne prend pas part à une communion.
Apporter une part, c’est apporter quelque chose en propre qui soit une occasion d’approfondissement de son individualité et d’enrichissement du groupe. La réciprocité est importante. La conversation en est une illustration. Il y a un apport mutuel à la conversation qui est le commun, qui ne préexiste pas, et qui est le résultat d’une réciprocité entre l’élocution et l’écoute.
Idéalement, la contribution est telle que le groupe est transformé par l’apport individuel. Cette contribution suppose de la part de l’individu qu’il trouve un langage partageable. Cela exige de lui une attention aux conditions de réceptivité du groupe qui, en retour, lui fait une place et le considère.
Le concept de démocratie contributive s’appuie sur cette définition. Il ne s’agit pas d’une simple consultation, mais de permettre aux citoyens de contribuer de manière significative aux affaires communes.
Recevoir une part, c’est la notion de bénéfice. Un individu est dans l’incapacité d’apporter une part s’il n’a pas reçu au préalable les outils et les ressources culturelles qui lui permettent de devenir membre à part entière d’un groupe. Par exemple, on ne peut pas attendre d’un primo-arrivant qu’il contribue et s’intègre de cette façon si l’on ne lui a pas appris le français. Cela pose la question du français langue étrangère comme condition d’intégration.
Enfin, j’ajouterais que la capacité à contribuer dépend d’une condition importante : la reconnaissance de la part apportée. Par exemple, beaucoup de groupes culturels ont largement contribué à l’Histoire nationale et pourtant leur part n’est pas reconnue. A Marseille, les Arméniens ont joué un rôle fondamental. Néanmoins, ils ne sont pas intégrés dans le récit historique officiel.
La reconnaissance de ce qu’apporte autrui est une condition indispensable de justice, d’équité et de pleine intégration des individus aux groupes auxquels ils sont liés.
La reconnaissance de ce qu’apporte autrui est une condition indispensable de justice, d’équité et de pleine intégration des individus aux groupes auxquels ils sont liés.
Peut-on dire que notre société souffre d’un déficit de reconnaissance ?
La reconnaissance, c’est une forme de générosité dans l’attention portée à l’autre de sorte que sa contribution soit facilitée.
L’école par exemple souffre de ce déficit de générosité. Souvent encore aujourd’hui, l’éducation est instruction, elle est plus punitive qu’elle n’est encourageante. L’élève doit reconnaître ce qu’apporte le maître, mais celui-ci n’a pas à reconnaître ce qu’apporte l’enfant. Ce dernier n’a pas son mot à dire quant à la constitution de sa connaissance. Au contraire, on lui enseigne une posture passive et docile ce qui tend à renforcer des formes d’injustices criantes. En effet, plus les voies de la réussite sont étroites, plus il est difficile d’acquérir la capacité culturelle à fonctionner de la manière requise et plus il y a de personnes qui restent sur le carreau.
Le monde professionnel peut-il leur offrir une seconde chance ?
Le monde professionnel évolue, mais les étudiants n’ont pas encore intégré qu’ils devaient contribuer à la construction du monde professionnel qui sera le leur. Ils se demandent encore à quel emploi telles ou telles études les destinent. Il s’agit de leur transmettre l’idée qu’ils devront de plus en plus créer leur emploi, ou du moins contribuer à le redéfinir.
Première partie d’un grand entretien avec Joëlle Zask.
A suivre : Innovation politique, existe-t-il des lieux pour favoriser la participation ?