Vous êtes devant votre écran, c’est la première fois que vous faites cette démarche-là sur le site internet de votre commune, et vous n’y comprenez rien … Vous vous dites, “mais ça va me prendre une plombe de rentrer toutes ces données en ligne !” “et si je fais une erreur, je pourrai corriger?” “finalement c’était plus facile avant, au moins j’avais une personne en face de moi qui pouvait répondre à mes questions”. Depuis environ 10 ans, de nombreuses communes, ou départements, ont entamé une digitalisation de leurs services publics. Vous souhaitez refaire votre carte d’identité directement à la Mairie ? Dorénavant il faut prendre rendez-vous en ligne. Vous voulez faire votre demande de RSA ? Passez par la CAF, sur le site internet … Fracture numérique et austérité ne font pas bon ménage On parle de fracture numérique, tous ces désagréments qui sont encore vécus par une part très importante des français. Séniors, personnes peu ou pas diplômés, vivant en-dessous du revenu médian, habitants en milieu rural/péri-urbain, ça commence à faire du monde qui n’a pas accès à internet et donc aux services publics numérisés. On recense aujourd’hui entre 3 et 4 millions de français n’ayant pas accès à une connexion internet. Alors comment faire si des services municipaux ferment dans votre ville et que pour faire vos démarches, vous devez prendre votre voiture pendant 1h ? Inversement, plus vous êtes diplômés, plus vos revenus sont élevés, plus vous vivez en ville ou en métropole, plus vous êtes avantagés. L’écart s’est creusé depuis quelques années, sans être considéré comme un sujet d’importance à traiter. Et pour bien comprendre, il faut notamment aller voir du côté de l’Etat. Les différentes lois budgétaires votées depuis 2011 ont acté une baisse voire un gel des dotations aux collectivités locales. Ces lois, inspirées des règles souvent issues de différents traités européens, comme la règle des 3% de déficit par exemple, ont forcé la France à faire de nombreuses économies dans les dépenses publiques. Et c’est au gouvernement et au Parlement de décider quels robinets on ferme ou si on fait du goutte à goutte. En France, un des plus importants postes de dépenses est celui des dotations aux collectivités locales, il représente environ 50% du budget . Entre 2011 et 2016, de nombreuses collectivités locales ont dû se transformer radicalement. Certaines ont été rapides, d’autres sont encore à la traîne. Pour s’adapter, les collectivités locales ont dû faire des choix politiques difficiles, certaines en ont même profité pour diminuer certaines aides sociales ou les rendre inaccessibles. Une France teintée de “zones blanches” La deuxième étape a été la mise en place du haut débit sur tout le territoire mais, encore aujourd’hui, de nombreux territoires ruraux n’ont toujours pas le haut débit, bien que certains départements offrent à tous les collégiens des tablettes numériques… Paris, et les métropoles, restent les grands gagnants de la révolution numérique! Des communes comme Gourdon, commune rurale dans le département du Lot, ont investi dans les infrastructures pour permettre à leurs habitants d’avoir accès à une connexion internet de qualité. Plus largement, l’Etat s’est donné comme objectif de diminuer les zones blanches pour 2,5 millions de personnes d’ici 2019. Une série TV façon polar (“Zone blanche”) vient même de démarrer sur France 2. Des communes terminent de numériser certains documents administratifs comme les “états civils” à Orléans. La ville de Denain permet même à ses habitants de visiter les plus beaux musées de France sans bouger de la médiathèque municipale. Voilà des exemples de réussites qui permettent à des habitants d’une ville d’avoir accès à des services qui leur étaient hors de portée auparavant..
Par contre, il existe d’autres villes où le numérique rend la vie quotidienne plus compliquée ou alors est absent. Alors est-ce une volonté politique délibérée ou est-ce simplement parce que certains maires sont encore trop timides pour mener ces transformations-là ? Une étude de la Caisse des dépôts, en 2013, avait montré que les attentes des français étaient grandes en matière de numérisation mais que certaines municipalités n’étaient pas au niveau. 90% des français, ayant répondu à cette étude, considèrent le développement du numérique dans les services publics comme un levier important pour simplifier leur vie au quotidien. Seulement 4 français sur 10 estiment que leurs communes utilisent efficacement le numérique. Il y a donc plus d’un français sur 2 qui estime que sa municipalité est en retard. Le numérique ne peut pas être qu'un outil de dématérialisation des services publics Numériser les services publics peut d’ailleurs parfois être une occasion, pour certains maires ou conseils départementaux, de compliquer l’accès à certaines aides ou services. Dès lors que celui qui est aux manettes d’une collectivité locale, peut, au gré d’un changement de majorité, changer la structure du site Internet et perdre à dessein l’usager dans les méandres de la complexité administrative, alors une partie de la population se voit de fait exclue à cause de la transformation numérique. Certains services, auparavant gratuits, peuvent devenir payant lorsque celui-ci est en ligne : ça a été le cas pour le guide de l’ANSA qui est devenu payant; Il exprime ses doutes et pose une question très juste quant au rapport entre lien social et démocratie : “Par exemple que devient la décision publique avec l’utilisation massive d’algorithmes ?” Et alors, vous demandez-vous, comment y remédier ? Que fait l’Etat pour tenter de corriger le tir ? L’action de l’ex-Secrétaire d’Etat, Axelle Lemaire vise notamment “à garantir l’accès de tous, dans tous les territoires, aux opportunités liées au numérique.” Mais cela suffira-t-il ? Comment inciter tous les maires de France à transformer leur municipalité par le numérique ? Combler la fracture du numérique Certaines collectivités locales ont déjà trouvé des éléments de réponses grâce à ce qu’on appelle la médiation numérique. En novembre 2016, à Mende en Lozère, s’est créé la Coopérative de la médiation numérique, regroupant environ 300 médiateurs issus d’associations ou d’autres services de la collectivité, agissant auprès des publics les plus exclus du numérique afin de les sensibiliser et les former à l’utilisation des plateformes et services digitaux. En somme, ces acteurs comblent l’espace créée par cette fracture numérique. Au final, le numérique, que cela soit dans l’économie ou dans l’action publique, contribue à créer une sorte de fossée entre les citoyens et donc met à mal le principe d’égalité. Sans l’humain, le numérique peut amplifier des phénomènes d’exclusion sociale, à moins d’agir ensemble. En effet, ne serait-ce pas l’occasion de créer un pont intergénérationnel et intercommunal de solidarité numérique? Le numérique dans la ville est-il au service de citoyens émancipés? ou renforce-t-il le contrôle d’une élite? Pour poursuivre la discussion, nous vous rendez-vous le 25 avril dans le cadre du 5ème événement Warm-Up du OuiShare Fest.